ELIZA, le tout premier chatbot au monde, créé dans les années 1960, a été ramené à la vie grâce au travail acharné d’une équipe de chercheurs. Ce projet de restauration permet à cette icône de l’intelligence artificielle de fonctionner à nouveau sur son système d’exploitation d’origine, offrant une plongée fascinante dans l’histoire de l’informatique.
Un trésor oublié retrouvé dans les archives du MIT
Tout commence en 2021, lorsqu’un archiviste du MIT, Myles Crowley, met la main sur des impressions du code source d’ELIZA, longtemps pensé perdu. Ce programme, développé par le professeur Joseph Weizenbaum entre 1964 et 1967, se voulait un simulateur de thérapie basé sur des méthodes de psychothérapie rogérienne. Le code original, écrit dans un langage informatique obsolète appelé MAD-SLIP, était resté enfoui dans les archives pendant près de six décennies.
Des versions ultérieures d’ELIZA, adaptées dans d’autres langages comme le Lisp ou le BASIC, s’étaient déjà répandues dans les années 1970 et 1980 grâce à des réseaux informatiques naissants comme l’ARPAnet. Pourtant, le code original de Weizenbaum, pièce maîtresse de l’histoire de l’intelligence artificielle, n’avait jamais été retrouvé ni exécuté depuis des décennies.
Un défi technique colossal relevé par des « archéologues du code »
La restauration d’ELIZA a nécessité un effort monumental. L’équipe de chercheurs, composée de spécialistes des systèmes anciens et d’historiens de l’intelligence artificielle, a dû recréer un environnement d’exploitation compatible avec les ordinateurs de l’époque, notamment l’IBM 7094, une machine autrefois vendue pour environ 2,9 millions de dollars dans les années 1960 (soit près de 23 millions d’euros d’aujourd’hui).
Le code, incomplet et mal documenté, a dû être nettoyé, débogué et complété par des fonctions manquantes. Une fois les ajustements effectués, l’équipe a réussi à faire tourner le programme dans un environnement émulé en décembre 2024. À leur grande surprise, malgré son âge, ELIZA fonctionnait mieux que prévu. Cependant, un bug historique, qui provoque le crash du programme lorsque des chiffres sont saisis, a été volontairement conservé pour préserver l’authenticité de l’expérience.
Un héritage intemporel pour l’intelligence artificielle
Conçu à l’origine comme une expérimentation critique par Weizenbaum, ELIZA questionnait déjà les limites de l’intelligence artificielle. En simulant une compréhension humaine sans en avoir réellement une, le chatbot démontrait que l’illusion d’intelligence pouvait être suffisante pour tromper un utilisateur. Ce concept, révolutionnaire pour l’époque, préfigurait les débats actuels sur les modèles de langage modernes comme ChatGPT, qui reproduisent des schémas linguistiques sans compréhension réelle.
Les chercheurs à l’origine de la résurrection d’ELIZA soulignent son impact durable. « ELIZA a ouvert la voie à des concepts tels que le test de Turing, en montrant qu’un dialogue humain-machine était possible », expliquent-ils dans leur publication scientifique. Aujourd’hui, alors que les modèles d’intelligence artificielle modernes se développent à une échelle sans précédent, le chatbot originel rappelle que l’innovation technologique s’appuie toujours sur des fondations historiques solides.
Un objet de curiosité accessible à tous
La version restaurée d’ELIZA est désormais disponible en téléchargement sur la plateforme GitHub. Les passionnés et chercheurs peuvent explorer ce morceau d’histoire en exécutant le programme dans un environnement émulé. Bien que rudimentaire, ELIZA reste une expérience fascinante pour quiconque souhaite découvrir les débuts de l’intelligence artificielle.
Cette initiative s’inscrit dans un effort plus large de préservation du patrimoine numérique. À une époque où les avancées technologiques se succèdent à un rythme effréné, revisiter des projets comme celui de Weizenbaum permet de mieux comprendre d’où vient l intelligence artificielle moderne et d’apprécier le chemin parcouru. Les chercheurs espèrent que cette résurrection d’ELIZA inspirera de nouvelles générations de développeurs et suscitera des discussions sur l’évolution et les implications de l’IA.
Perspectives : un regard vers le futur
Alors que l’intelligence artificielle continue de s’imposer dans notre quotidien, la réanimation d’ELIZA offre une opportunité unique de réfléchir à l’origine de ces technologies et à leurs implications éthiques. Si ELIZA était une simple simulation de dialogue thérapeutique, les technologies actuelles, comme les modèles de langage avancés, soulèvent des questions bien plus complexes sur la compréhension, l’autonomie et le rôle de l’IA dans la société.
En revisitant ce pionnier de l’IA, les chercheurs rappellent que la quête d’intelligence artificielle ne consiste pas nécessairement à reproduire la pensée humaine, mais plutôt à explorer des moyens alternatifs pour interagir avec les machines. Le retour d’ELIZA est bien plus qu’un simple exploit technique : c’est un hommage à l’histoire de l’informatique et une invitation à repenser notre rapport aux technologies intelligentes.