810 000 Québécois, soit 18 % de la population active, occupent des emplois menacés par l’automatisation et l’intelligence artificielle (IA), selon une étude de l’Institut du Québec (IDQ). Ces bouleversements technologiques touchent particulièrement les secteurs des ventes, des services et de la fabrication, mais ouvrent aussi la voie à des opportunités inédites pour l’économie.
Quels secteurs sont les plus vulnérables ?
Selon l’étude, 96 professions sont classées comme étant à haut risque d’automatisation. Ces emplois incluent les caissiers, les serveurs, les opérateurs de machinerie et les travailleurs administratifs tels que les adjoints ou les vérificateurs comptables. Le secteur de la fabrication est particulièrement exposé, avec 59 % des postes jugés menacés, ce qui reflète une vulnérabilité structurelle face à l’évolution technologique.
Par ailleurs, l’introduction de technologies comme l’IA générative, à l’image de ChatGPT, étend les risques au-delà des tâches manuelles. Des fonctions analytiques et cognitives, telles que la traduction ou la création de contenu, sont désormais réalisables par des machines, remettant en question la sécurité de nombreux emplois spécialisés.
Les travailleurs jeunes et peu diplômés en première ligne.
Les jeunes âgés de 15 à 24 ans ainsi que les adultes sans diplôme sont particulièrement exposés à ces transformations. L’étude révèle que 27 % des travailleurs sans diplôme se trouvent dans des postes à haut risque, comparé à seulement 8 % pour les détenteurs d’un diplôme universitaire.
Cependant, certaines professions nécessitant des compétences techniques spécifiques, comme les coiffeurs ou les travailleurs sociaux, demeurent moins menacées. Ces métiers reposent en effet sur des aptitudes humaines complexes, comme la créativité et l’intelligence sociale, qui restent difficilement automatisables.
Emna Braham, présidente-directrice générale de l’IDQ, met en avant l’importance des compétences transversales : « Les qualités comme la créativité, l’empathie et la résolution de problèmes complexes seront essentielles pour permettre aux travailleurs de s’adapter aux bouleversements du marché de l’emploi. » Ces compétences jouent un rôle clé pour contrer les effets de l’automatisation et favoriser l’adaptabilité professionnelle.
Une adoption progressive de l’intelligence artificielle par les entreprises.
Malgré l’enthousiasme du public pour des outils comme ChatGPT, les entreprises québécoises adoptent l’intelligence artificielle à un rythme plus lent. Selon l’étude, seules 12 % des entreprises prévoient intégrer l’IA dans leurs processus au cours des 12 prochains mois. Ce retard s’explique par des contraintes budgétaires, des défis réglementaires et le besoin de former les employés à ces technologies émergentes.
Cependant, le Québec se démarque par une avance relative par rapport aux autres provinces canadiennes. Cette adoption progressive pourrait permettre aux entreprises de mieux planifier la transition et d’exploiter les bénéfices à long terme de l’intelligence artificielle. Les experts insistent sur la nécessité d’investir dans des programmes de formation continue pour les employés, afin de maximiser l’impact positif de cette transformation technologique.
Une opportunité pour le Québec : transformer la menace en levier économique.
Bien que l’automatisation suscite des inquiétudes, elle pourrait aussi représenter une opportunité stratégique pour l’économie québécoise. Face à une pénurie persistante de main-d’œuvre, l’intelligence artificielle pourrait augmenter la productivité et libérer les employés pour des tâches à plus forte valeur ajoutée. Pour cela, des investissements conséquents seront nécessaires, autant dans les infrastructures technologiques que dans la formation des travailleurs.
Noel Baldwin, directeur général du Centre des compétences futures, avertit : « L’intelligence artificielle ne doit pas seulement être perçue comme un outil pour remplacer les travailleurs. Elle doit être utilisée pour enrichir les rôles des employés et leur permettre de participer pleinement à cette transition. »
Anticiper les changements pour mieux s’y préparer.
L’impact de l’intelligence artificielle sur l’emploi ne signifie pas nécessairement une disparition massive de postes. Selon l’étude de l’IDQ, ce sont souvent des tâches spécifiques au sein des métiers qui sont automatisées, et non les emplois dans leur ensemble. Cette distinction offre une opportunité de repenser l’organisation du travail et de redistribuer les rôles au sein des entreprises.
Cette transition pourrait devenir un levier de croissance économique. Cependant, cela requiert une collaboration étroite entre les entreprises, les gouvernements et les institutions éducatives. Des politiques publiques axées sur la reconversion professionnelle et la montée en compétences seront essentielles pour accompagner les travailleurs vulnérables.
Par ailleurs, les entreprises devront intégrer l’intelligence artificielle de manière stratégique, en planifiant son adoption sur le long terme. Cela inclut non seulement l’utilisation d’outils technologiques, mais aussi la valorisation des compétences humaines uniques, comme l’intuition et l’empathie, qui restent irremplaçables par les machines.
Vers un futur du travail repensé.
Alors que l’intelligence artificielle continue de transformer le marché de l’emploi, les décideurs publics et les acteurs économiques ont une responsabilité collective pour anticiper ces changements.
En combinant innovation technologique et valorisation des talents humains, la province peut non seulement atténuer les impacts négatifs de l’automatisation, mais aussi en tirer parti pour renforcer sa compétitivité économique. Pour les 810 000 travailleurs concernés, l’avenir dépendra de leur capacité à évoluer, soutenue par un engagement collectif à construire un marché du travail inclusif et durable.