Face à la hausse des vols dans les grandes surfaces, le Groupement Les Mousquetaires déploie une solution innovante : des caméras assistées par intelligence artificielle. Testée avec succès, cette technologie promet de transformer la gestion des paiements en libre-service.
Les caisses automatiques, un terrain fertile pour la fraude.
Introduites il y a vingt ans, les caisses automatiques sont devenues omniprésentes dans les supermarchés. Mais leur généralisation a entraîné une hausse préoccupante des fraudes, souvent regroupées sous le terme de démarques inconnues. Ces pertes, causées par des vols ou des erreurs de scan, atteignent en moyenne 4 % des transactions sur ces bornes, contre seulement 1 % aux caisses traditionnelles. Cette différence représente des millions d’euros de pertes annuelles pour les enseignes de grande distribution.
Les anecdotes ne manquent pas pour illustrer l’ampleur du problème. Parmi les cas les plus marquants, un client a récemment pesé une console de jeu au rayon fruits et légumes pour la payer au prix dérisoire de 9 euros. Ces comportements, parfois délibérés, sont devenus si courants qu’une criminologue anglaise les a surnommés « swiping » : des vols discrets commis par des clients en apparence honnêtes.
Un dispositif d’intelligence artificielle en réponse aux pertes.
Pour répondre à ces dérives, le Groupement Les Mousquetaires, propriétaire d’enseignes comme Intermarché et Netto, a adopté une technologie avancée : le système Vynamic Smart Vision, conçu par la société américaine Diebold Nixdorf. Déployée depuis mars 2024 dans un magasin pilote à La Farlède (Var), cette solution repose sur des caméras intelligentes et un algorithme d’analyse comportementale.
Installées au-dessus des caisses automatiques, ces caméras détectent en temps réel les anomalies comme la dissimulation d’articles ou l’utilisation de faux codes-barres. En cas de détection d’un comportement suspect, un message s’affiche sur l’écran pour inviter le client à vérifier ses articles. Si l’anomalie persiste, une alerte est envoyée à un hôte de caisse, accompagnée d’une vidéo de la transaction concernée. Ce dispositif permet de limiter les erreurs et les fraudes tout en maintenant une interaction discrète avec les clients.
Des résultats impressionnants dès les premières expérimentations.
Les données issues du magasin pilote sont encourageantes. En seulement trois mois, la fraude a été réduite de 68 %, permettant d’éviter des pertes estimées à 12 000 euros. De plus, les interventions manuelles des employés ont baissé de 12 %, optimisant ainsi le temps de travail et réduisant les files d’attente.
Les retours des équipes en magasin confirment l’efficacité du dispositif. « Cette innovation nous permet de gérer les caisses libre-service de manière plus fluide, tout en réduisant les pertes financières », explique un manager d’Intermarché. Les clients, informés de la présence de ces caméras, semblent également plus vigilants, renforçant l’effet dissuasif du système.
Un déploiement national prévu en 2025.
Face à ces résultats prometteurs, le Groupement Les Mousquetaires prévoit de généraliser cette technologie à l’ensemble de ses magasins dès avril 2025. En parallèle, Diebold Nixdorf travaille déjà sur une version améliorée de son système, capable de reconnaître automatiquement les différentes variétés de fruits et légumes. Cette évolution pourrait encore simplifier le passage en caisse tout en renforçant les contrôles.
Cette initiative s’inscrit dans une tendance globale. En France, près de 2 000 magasins utilisent déjà des dispositifs similaires, et ce chiffre est appelé à croître. Cependant, certaines enseignes étrangères, comme Walmart, ont choisi de revenir aux caisses traditionnelles, citant des difficultés techniques et la réticence de certains clients face à ces technologies intrusives.
Des questions éthiques et sociales à considérer.
Si cette technologie offre des avantages indéniables, elle soulève également des préoccupations importantes. Les syndicats, par exemple, mettent en garde contre les effets sur les conditions de travail. « Là où une hôtesse devait surveiller quatre caisses, certaines doivent aujourd’hui en gérer jusqu’à sept. Cela augmente la charge de travail et réduit l’interaction humaine », affirme Salima Lemzeri, déléguée syndicale CFDT.
La question de la vie privée suscite également des débats. Bien que le système respecte les exigences du RGPD (les visages des clients sont floutés et les vidéos ne sont pas conservées à long terme), certains consommateurs pourraient ressentir un malaise face à cette surveillance constante. « Être observé en permanence, même pour des raisons de sécurité, peut nuire à la confiance envers l’enseigne », explique un expert en éthique numérique.
Enfin, l’automatisation croissante des caisses pose la question de l’emploi dans la grande distribution. Si l’intelligence artificielle permet d’optimiser les processus, elle ne peut remplacer totalement le rôle humain, notamment dans l’accompagnement des clients et la gestion des imprévus. Trouver un équilibre entre innovation technologique et maintien des valeurs humaines est donc essentiel.
Une innovation à surveiller de près.
Le déploiement de l’intelligence artificielle dans les supermarchés marque une étape clé dans la lutte contre la fraude. Avec des résultats déjà probants, cette technologie pourrait bien s’imposer comme un standard dans les années à venir. Cependant, les enseignes devront veiller à répondre aux attentes des consommateurs et des employés, tout en respectant les contraintes éthiques et sociales.
Alors que le Groupement Les Mousquetaires prévoit une généralisation de ce dispositif dès 2025, la question reste ouverte : jusqu’où peut-on automatiser les processus sans compromettre l’expérience client ni sacrifier le lien humain ? Les prochains mois seront décisifs pour évaluer si cette transition numérique sera pleinement acceptée par toutes les parties prenantes.
